La pollution toxique provenant des mines industrielles remet en question les revendications d’énergie propre.

Le monde a besoin du cobalt de la RD Congo pour atteindre les objectifs « zéro émission nette », mais la transition énergétique n’apporte aucun bénéfice à des centaines de milliers de Congolais vivant à l’ombre des grandes mines industrielles de cobalt. Ils ne conduisent pas de véhicules électriques ou ne profitent pas d’un environnement plus propre. Au lieu de cela, ils sont frappés par une pollution de l’eau qui les rend plus malades et plus pauvres. Nous avons tous besoin d’un avenir durable, mais cela doit s’appliquer de la même manière dans le Nord global et en RDC.

Emmanuel Umpula,
Directeur exécutif d’AFREWATCH

« Nos recherches révèlent un décalage flagrant entre les revendications de « cobalt propre » de l’industrie et la dure réalité à laquelle sont confrontées les communautés congolaises. Le droit à l’eau potable et à un environnement sain est un droit non négociable de chaque personne, qui ne doit pas être sacrifié pour certains dans le cadre de la transition énergétique. Les constructeurs de véhicules électriques qui achètent du cobalt doivent s’assurer qu’il provient de sources responsables et devraient exiger que les sociétés minières assainissent leurs pratiques. »,

Anneke Van Woudenberg, Directrice exécutive de RAID.

Un nouveau rapport publié mercredi 27 mars révèle que la pollution toxique provenant de l’extraction industrielle de cobalt en République démocratique du Congo (RDC) a des répercussions humaines et environnementales dévastatrices. Ses conclusions remettent en question le discours sur le cobalt « propre » et « durable » fréquemment mis en avant par les sociétés minières multinationales. Le cobalt est une matière première indispensable utilisée dans les batteries rechargeables des véhicules électriques et les technologies d’énergie renouvelable. Il provient en grande partie de la ceinture de cuivre et de cobalt dans le sud de la RDC.

Le rapport sans précédent de 111 pages intitulé « Beneath the Green: A critical look at the cost of industrial cobalt mining in the DRC » (Dans les coulisses de la transition énergétique : Regard critique sur l’impact des mines industrielles de cobalt en RDC) a été élaboré par l’organisme de surveillance des activités des sociétés basé au Royaume-Uni RAID et African Resources Watch (AFREWATCH) basé en RDC. C’est l’une des premières études approfondies évaluant les impacts environnementaux de l’exploitation minière industrielle du cobalt sur les droits humains de centaines de milliers de Congolais vivant à Kolwezi et dans les environs, au cœur de l’industrie du cobalt en RDC. Axé sur les conséquences de la pollution de l’eau, le rapport constate que le droit à un environnement propre, sain et durable des communautés riveraines vivant à l’ombre des plus grandes mines de cobalt et de cuivre au monde est régulièrement violé.

Les communautés rencontrées par RAID et AFREWATCH ont expliqué que la contamination toxique porte atteinte à leur santé et a des répercussions destructrices sur les écosystèmes locaux et l’agriculture. Les habitants ont indiqué qu’il n’y a pas assez d’eau potable, encore moins pour l’hygiène personnelle et le lavage, ce qui les oblige à utiliser de l’eau contaminée pour leurs besoins quotidiens. 56 % des personnes interrogées ont déclaré que la pollution affecte la santé gynécologique et reproductive des femmes et des filles, entraînant des menstruations irrégulières, des infections urogénitales, des fausses couches plus fréquentes et, dans certains cas, des malformations congénitales. De plus en plus de fillettes et d’adolescentes semblent également être touchées.

Les habitants locaux ont également expliqué qu’ils souffrent de maladies de peau régulières et qu’ils sont particulièrement préoccupés par la santé de leurs enfants, qui semblent être plus fortement touchés. La quasi-totalité (99 %) a mentionné le fait que les rendements des champs et terres cultivées sont considérablement réduits en raison de la contamination de l’eau, avec des conséquences radicales sur leurs revenus. En outre, 59 % ont signalé avoir réduit leur ration alimentaire à un repas par jour, 59 % ont retiré leurs enfants de l’école par manque d’argent et 75 % ont déclaré ne plus avoir les moyens de payer les soins de santé ou les médicaments. Les personnes interrogées attribuent toutes la baisse de leur niveau de vie au récent essor de l’exploitation minière du cobalt.

S’étalant sur une période de 19 mois, l’enquête a nécessité un travail de terrain dans 25 villages et villes à proximité de cinq des plus grandes mines de cobalt et de cuivre au monde, exploitées par des sociétés minières européennes et chinoises. Elle a impliqué des entretiens approfondis avec 144 habitants, offrant un aperçu rare des expériences vécues par les communautés riveraines. RAID et AFREWATCH ont aussi interrogé des experts médicaux et des scientifiques, analysé des études scientifiques et examiné des centaines de pages de documents des sociétés.

D’après RAID et AFREWATCH, les résultats de l’étude montrent que la région des mines de cobalt et de cuivre de la RDC semble se transformer en une « zone sacrifiée », que les experts de l’ONU décrivent comme des zones fortement contaminées dans lesquelles les habitants souffrent de problèmes de santé sévères et subissent des atteintes aux droits humains.

Les conclusions scientifiques corroborent les témoignages des communautés locales, avec au moins 23 études scientifiques qui démontrent que les rivières, les lacs, les ruisseaux et les zones humides du secteur sont fortement pollués par les activités minières. Les propres rapports et évaluations des sociétés, analysés par RAID et AFREWATCH, identifient aussi clairement les risques environnementaux et les impacts potentiels sur la santé humaine résultant de l’extraction industrielle de cobalt.

En outre, RAID et AFREWATCH ont demandé de nouvelles études au département de toxicologie et d’environnement de l’Université de Lubumbashi sur des étendues d’eau qui, selon les communautés locales, sont contaminées. D’après les scientifiques, les résultats préliminaires de l’analyse de mars 2024 ont montré que les cinq masses d’eau étudiées sont toutes touchées par la pollution industrielle acidifiante. Les rivières Katapula et Kalenge ont été classées comme « hyper-acides », tandis que les rivières Dipeta et Dilala ont été évaluées comme « très acides ». Les scientifiques ont conclu que ces quatre rivières sont impropres à la vie aquatique et que leur eau est toxique pour la santé humaine et animale.

Dans leurs documents publics, leur correspondance et leurs réunions avec RAID et AFREWATCH, les sociétés concernées par l’étude ont souligné les mesures qu’elles prennent pour réduire le risque de contamination. Pourtant, aucune société n’a souhaité fournir des preuves confirmant l’efficacité de ses pratiques. Les sociétés ont déclaré que la pollution historique provenant de mines plus anciennes, la contamination due à l’exploitation minière artisanale et d’autres secteurs d’activités étaient en grande partie responsables.

Cependant, RAID et AFREWATCH ont constaté qu’au moins 14 incidents importants de pollution environnementale toxique provenant des cinq mines avaient été signalés au cours des dernières années, y compris des brèches dans les stockages de résidus et des déversements d’acide sulfurique. Les communautés locales ont expliqué qu’elles estiment que les opérations de décontamination de ces déversements ont été insuffisantes et que, dans de nombreux cas, les effets de la pollution persistent.

Un habitant vivant en bordure d’une mine interrogé par RAID et AFREWATCH a raconté : « Nous vivons dans un environnement qui nous apporte plus de problèmes que de solutions. Nous tombons malades, nos sols et notre eau sont pollués et nos terres nous sont enlevées. » Un autre habitant a indiqué : « Nous sommes les grands perdants de l’exploitation minière. Au cours de mes 53 années de vie, j’ai vu beaucoup de changements. Ces sociétés sont venues seulement pour s’enrichir et nous apporter la mort. »

Les sociétés minières reconnaissent que la pénurie chronique d’eau potable est une préoccupation pour les habitants locaux et ont construit des forages pour atténuer le problème. Pourtant, RAID et AFREWATCH ont constaté qu’aucune des entreprises n’a respecté les normes minimales d’approvisionnement en eau potable fixées par les réglementations de la RDC, et toutes étaient bien en deçà de la quantité minimale prévue par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) de 20 litres par personne et par jour pour la consommation et l’hygiène. Le défaut des sociétés minières de fournir ne serait-ce qu’un minimum d’eau potable contraste fortement avec les bénéfices tirés des activités minières, ont déclaré RAID et AFREWATCH.

L’enquête met également en évidence l’incapacité du gouvernement congolais à faire respecter les protections environnementales, malgré les lois environnementales strictes de la RDC. Les agences réglementaires nationales, paralysées par le manque de ressources et d’expertise, ont du mal à demander des comptes aux sociétés minières, ce qui favorise la persistance de la pollution de l’eau quasiment incontrôlée.

Les mines concernées par cette étude fournissent du cobalt aux plus grands constructeurs de véhicules électriques au monde, notamment Tesla, Volkswagen, Mercedes Benz, BYD et General Motors, entre autres. RAID et AFREWATCH ont appelé les constructeurs de véhicules électriques et d’autres entreprises de la chaîne d’approvisionnement à faire pression sur les sociétés minières pour qu’elles fournissent du cobalt véritablement « propre » et « durable ».

Via Raid

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