Tout ça pour ça ? Le départ de l’armée française du Niger, après une décennie d’erreurs stratégiques, met au tapis de réels succès militaires dans une région que Paris juge désormais en grand danger face à la progression djihadiste.

Après l’opération Serval au Mali en 2013, unanimement qualifiée de réussite, la force antidjihadiste Barkhane, déployée sur une zone élargie à la bande sahélo-saharienne, comptera jusqu’à 5.500 soldats, avec moyens de renseignement, blindés légers, avions de chasse et drones armés.

Au prix de la mort de 58 soldats, elle est longtemps parvenue à contenir la menace, désorganiser les filières et éliminer les chefs djihadistes.

“Quasiment tous les grands chefs militaires ont été tués. Militairement, il n’y a pas eu de défaite française”, constate pour l’AFP Djallil Lounnas, de l’université marocaine d’Al Akhawayn.

La France a même pacifié certaines zones de la région. Mais les objectifs de formation des armées locales et de restauration des États centraux sur les zones sécurisées ont failli.

Denis Tull, de l’Institut allemand pour les relations internationales et la sécurité (SWP), estime que Paris a manqué d'”une vraie volonté de partenariat” avec les pays de la région. “Barkhane a plus ou moins tourné dans son orbite, faisant cavalier seul – ce qui était certes plus simple et plus efficace à court terme que de lancer des opérations conjointes” relève-t-il. Les formations ont été introduites “assez tardivement, voire trop tard (…) quand les dégâts politiques étaient déjà là”.

“Ambiguïté des gouvernements”

Paris s’est heurtée à la faiblesse et la méfiance des États, et s’est aussi montrée incapable de proposer un discours acceptable pour les opinions africaines.
Même lorsque le président Emmanuel Macron a compris, au sommet franco-sahélien de Pau en 2020, “l’ambiguïté des gouvernements de la région envers la France, il a quand même augmenté le nombre des troupes françaises”, ajoute Denis Tull à l’AFP. “Comme si la France s’était enfermée: une fois qu’on a choisi un chemin, on n’arrive plus à changer de direction”.

Aujourd’hui, Joseph Henrotin, politologue belge et rédacteur en chef de la revue Défense et sécurité internationale (DSI), rend hommage “aux sacrifices réalisés, à la virtuosité tactique et opérative des forces françaises comme alliées”.
Mais “Barkhane est malheureusement un échec au plan politico-stratégique, le seul qui compte”, ajoute-t-il sur le compte X (ex-Twitter) de DSI, en déplorant que les troupes françaises ne soient pas parvenues à “être un générateur de souveraineté pour les États de la région”.

Paris a bien tenté de s’appuyer sur l’aide de Washington et, à partir de 2020, d’associer ses partenaires européens. En vain.
Les armées formées par les Occidentaux “ont fait des coups d’État conduisant à la perte des gouvernements” de la région, note Katherine Zimmerman, de l’American enterprise institute à Washington. “L’ironie du coup d’État au Niger en particulier, c’est que le terrorisme tendait à baisser”.

Extension de la menace

Ces dernières années, certains experts ont regretté le refus de discuter de Paris, notamment avec les groupes djihadistes sahéliens qui défendent un agenda local propice aux négociations, à l’inverse des centrales du groupe État islamique et d’al-Qaïda, dont les visées sont planétaires.

“Plus de deux décennies d’échecs stratégiques dans la lutte anti-terroriste devraient constituer un bon argument en faveur de négociations (avec les djihadistes), comme un outil parmi d’autres”, écrivait récemment le Soufan Center. “L’enlever des options possibles revient à se battre avec une main dans le dos”.

Au Niger, le président destitué Mohamed Bazoum avait lui-même tendu la main: accords de paix entre communautés, projets de développement, négociations avec des groupes armés. Une politique que Paris n’a jamais critiquée ouvertement mais qui a déplu au Niger, particulièrement dans l’armée.

D’ici la fin de l’année ne restera donc dans la région qu’un millier de soldats français au Tchad. Pour lutter contre les djihadistes, les États disposeront de capacités aériennes embryonnaires, d’un renseignement affaibli et d’équipements terrestres éminemment moins nombreux et modernes que le matériel français.

“Si le Niger prend la même pente que le Mali et le Burkina, ça peut aller beaucoup plus vite”, craint un haut gradé français. “L’inquiétude est vive sur une zone grise qui risque de déstabiliser l’ensemble de la bande saharo-sahélienne, voire le Tchad, et de pousser plus vite encore vers le Golfe de Guinée”.

Togo, Ghana, Bénin, voire Côte d’Ivoire et Sénégal sont désormais menacés.
“Les djihadistes sont présents partout. L’armée française part et ils contrôlent la situation”, regrette Djallil Lounnas. “Les principaux paramètres de la menace jihadiste n’ont fait que progresser: contrôle du territoire, expansion des groupes armées et adhésion des populations”.

(AFP)

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