« Une grand-mère prostituée, ça n’existe pas », déclare « Des Affaires », jeune rappeur sans-abri de Kinshasa, sous les rires étouffés de ses amis. Façon pour lui de dire qu’on ne peut pas faire de vieux os dans la rue.
« Ton corps finit par s’user », constate le jeune homme de 19 ans, qui fait partie des quelques dizaines d’enfants et adolescents de la rue ayant trouvé refuge à Mokili Na Poche (« le monde dans la poche », en lingala), un petit centre culturel du quartier populaire de Bandalungwa, dit « Bandal ».
Les organisations humanitaires estiment à plus de 20.000 le nombre de jeunes sans-abri dans la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), mégapole d’Afrique centrale d’environ 15 millions d’habitants.
Appelés « shégués », beaucoup sont jetés à la rue par une extrême pauvreté, ou par leurs familles qui les accusent de sorcellerie. La vie de ces enfants, très mal vus dans la société, rime souvent avec violence, drogues et prostitution.
Mokili Na Poche, petite structure créée en novembre dernier, vise à encourager ces jeunes sans éducation à s’adonner à des activités créatives, comme la fabrication de sacs avec du plastique de récupération, ou la musique.
« Des Affaires », de son vrai nom Junior Mayamba Ngatshwe, est prêt à saisir toutes les opportunités qui s’offrent à lui.
Chadrack Mado, un autre jeune de la rue, dit qu’il est venu au centre pour « ne pas devenir demain un kuluna », ces bandits de Kinshasa connus pour leur violence et leurs machettes.
Malgré ses immenses richesses en minerais, la RDC est un des pays les plus pauvres du monde. Les deux tiers de ses quelque 100 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté, fixé par la Banque mondiale à 2,15 dollars par jour.
– « Je suis coincé » –
Un studio d’enregistrement construit récemment accueille les jeunes de Mokili na Poche férus de musique. « Des Affaires » et ses amis en sont des habitués.
« Je suis coincé, je suis coincé », rappe le jeune homme dans le micro en lingala, en racontant comment il a quitté l’est congolais, déchiré par les conflits, pour se retrouver dans les rues malfamées de Kinshasa.
Un adolescent de 16 ans, pieds nus, surnommé « Banque de sang », l’accompagne en rythme en tapant sur une vieille bouteille en plastique, et joint énergiquement sa voix au refrain.
« Des Affaires » explique vouloir suivre les traces de grands noms de la musique congolaise comme Fally Ipupa, conduire une belle voiture et visiter les Etats-Unis.
La vie dans la rue est dure, dit-il, décrivant comment des jeunes sans-abri le soutiennent alors que d’autres essaient de l’enfoncer. « Il y a vraiment des sorciers parmi nous », pense le rappeur.
Mais il ne se décourage pas, car la musique le porte depuis toujours. « Depuis le ventre de ma mère », dit-il.
– Révolte –
Cédrick Tshimbalanga, 32 ans, directeur du centre, décrit combien la violence et le désespoir dominent la vie des enfants des rues.
« Chacun a une lame ou un canif pour se défendre », dit-il, « certains passent des jours sans rien manger ».
Dans la cour à l’extérieur du minuscule studio, plusieurs jeunes, le corps couvert de cicatrices, se reposent tranquillement à l’ombre.
Peu d’entre eux connaissent leur âge réel. Les plus petits ont 7 ou 8 ans, les plus grands sont en fin d’adolescence.
Selon Cédrick Tshimbalanga, qui se présente comme opérateur culturel, la musique qu’ils produisent est souvent rythmée et agressive, mais pas violente. « Ils veulent se révolter, contre la manière dont la société les traite », explique-t-il.
Le centre, ajoute-t-il, a commencé à préparer un album avec leurs titres de rap.
« Banque de sang », dont le vrai nom est Obed, dit que la musique le motive pour « continuer à avancer ».
D’aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours été dans la rue.
Lorsqu’on l’interroge sur sa vie, il répond par une chanson improvisée. Les paroles racontent que lorsqu’il a de l’argent, il a des amis, mais que quand il est fauché, il est complètement seul.
(AFP)