La force régionale est-africaine (EACRF) créée en 2022 pour arrêter l’avancée du groupe armé M23 dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) a récupéré depuis décembre certains des bastions de la rébellion. Mais, sur le terrain, les rebelles sont toujours là. En novembre, Kenya, Ouganda, Burundi et Soudan du Sud – deux pays où les armées sont accusées de possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité – ont été invités par les autorités congolaises à déployer plusieurs milliers d’hommes pour libérer des espaces conquis depuis un an par le M23 (Mouvement du 23 Mars).
Selon des experts indépendants de l’ONU, le Rwanda – qui a démenti – a aussi combattu, seul ou au côté du M23, l’armée congolaise et des groupes armés pour contrôler des villes et des axes stratégiques.
A Kibumba, Rumangabo et Bunagana (des bastions de la rébellion au nord de Goma, le chef-lieu du Nord-Kivu), des officiers de l’EACRF se sont affichés tout sourire auprès de dirigeants rebelles censés avoir été écartés.
Du 18 au 21 avril, un voyage de presse auquel a participé l’AFP a été organisé par l’EACRF dans des localités dites « libérées ». Malgré des restrictions, des habitants ont pu être interrogés.
« S’ils (les rebelles) entendent ce que j’ai à vous dire, ils me tueront », confie, inquiet, un commerçant à Bunagana, poste frontalier entre la RDC et l’Ouganda, officiellement repris le 31 mars au M23 par l’armée ougandaise.
« Les M23 sont toujours là ! L’arrivée des soldats de l’EACRF n’a rien changé, je paye toujours des taxes au M23 », se plaint-il, affirmant que côté congolais, la frontière est encore tenue par les rebelles.
Pointant du doigt le sommet d’une colline, d’autres habitants s’exclament: « Vous voyez là-bas, c’est une position du M23! »
Malgré les promesses de l’EACRF, le trafic de véhicules n’a toujours pas repris sur la route de 100 kilomètres qui mène à Goma, à l’exception de quelques camions et motos.
« Les M23 patrouillent encore chaque jour sur cette route », témoigne une commerçante au bord de la Nationale 2 censée être sous le contrôle de troupes ougandaises, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Bunagana.
Le 17 avril, lors d’une conférence de presse à Goma, le chef d’état-major de l’EACRF, le général kényan Jeff Nyagah, s’est félicité du cessez-le-feu qui aurait « amélioré le retrait du M23 des zones qu’il occupait ».
Mais quatre jours plus tard à Kinshasa, en Conseil des ministres, le nouveau ministre de la Défense, Jean-Pierre Bemba (ex-chef de guerre condamné à 18 ans de prison par la Cour pénale internationale pour des crimes en Centrafrique avant d’être acquitté en appel en 2018, après dix ans d’emprisonnement) le contredisait.
Depuis la mi-avril, un « renforcement de plusieurs positions par les terroristes RDF/M23 » (armée rwandaise/M23) a été constaté. Les mouvements repérés « présagent des attaques » contre l’armée congolaise, a-t-il dit.
Selon M. Bemba, « les M23/RDF réfractaires ont attaqué une patrouille des éléments burundais » de l’EACRF le 15 avril à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Goma.
Le 12 avril, des hommes armés se revendiquant « combattants patriotes » ont mené une attaque dans le village de Kibumba près de Goma, aussitôt dénoncée par le dirigeant du M23, Bertrand Bisimwa. Sur Twitter, il a dénoncé une violation du cessez-le-feu et une attaque de « la coalition du gouvernement de Kinshasa » contre ses troupes.
Depuis fin décembre, la force régionale a cependant régulièrement affirmé avoir remplacé les rebelles dans cette zone. Après l’attaque du 12 avril, elle a assuré avoir « repoussé avec succès » un « groupe armé local ». Sans faire mention d’une présence du M23 à Kibumba.
Si les rebelles et des troupes de l’armée rwandaise semblent avoir abandonné depuis début avril quelques localités emblématiques – comme le village de Kishishe où l’ONU les accusent d’avoir massacré en novembre au moins 171 civils -, leur emprise territoriale ne semble guère avoir évolué.
Et mercredi, un fonctionnaire local a affirmé qu’au moins 60 corps sans vie de civils tués par des rebelles du M23 ont été découverts ces derniers jours dans plusieurs villages du Nord-Kivu.
Au Nord-Kivu, plus d’un million de personnes restent déplacées après avoir fui le M23 et l’armée rwandaise. Et Kinshasa demande désormais une « discussion de vérité » pour clarifier le rôle de la force régionale.
Avec AFP