« L’OIF ne sera malheureusement pas en mesure de répondre favorablement à votre demande visant à accompagner la Ceni dans l’audit du fichier électoral. » C’est ce qu’a signifié, le 3 mai, à travers une lettre fuitée, le directeur de cabinet de la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) au président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Comment comprendre cette décision ? Quelles en sont les conséquences possibles sur la suite du processus électoral ?
Bonjour,
Je suis Benith Bungu, fellow à Ebuteli, institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence. Vous écoutez le 17e épisode de la saison 3 de Po Na GEC, capsule audio du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) de l’Université de New York et d’Ebuteli qui résume et analyse, chaque semaine, un sujet de l’actualité congolaise. Nous sommes le vendredi 5 mai 2023.
Ce refus de l’OIF d’auditer le nouveau fichier électoral congolais intervient dans un climat de méfiance d’une partie de l’opinion congolaise vis-à-vis de cette organisation internationale, actuellement dirigée par Louise Mushikiwabo, ancienne cheffe de la diplomatie rwandaise. Fin avril, l’OIF a dépêché à Kinshasa, sur demande de la Ceni, une mission exploratoire pour évaluer le contexte global de la préparation et du déroulement du processus électoral.
Avant même l’arrivée de la délégation de l’OIF, des interrogations sur sa légitimité à auditer le fichier électoral ont émergé dans l’opinion publique, mais aussi au sein de la Ceni. Une partie de la société civile a estimé qu’un audit du fichier congolais par l’OIF serait aujourd’hui problématique. Pour Jérôme Bonso d’Agir pour les élections transparentes et apaisées (AETA), par exemple, « les données récoltées des électeurs enrôlés contenues dans les cartographies géostratégiques du fichier électoral relèvent de la souveraineté d’un État et on ne peut pas se permettre d’y faire accéder les cabinets d’audit externes de pays étrangers (…) ».
Dans le contexte actuel où la RDC accuse le Rwanda de soutenir les rebelles du M23, l’OIF, qui n’a jamais condamné clairement cette agression, passe pour une partisane, voire une complice pour une partie de l’opinion congolaise. Mais c’est plutôt un argument technique que l’OIF met en avant pour justifier son renoncement. « Le délai imparti pour l’opération d’audit externe du fichier électoral (15 au 20 mai) rend très difficile la réalisation de cet exercice », explique-t-elle à la Ceni. Ce qui peut être entendu car en 2018, l’OIF a audité le fichier électoral durant 20 jours. Un délai d’ailleurs jugé relativement court par Dénis Kadima, alors consultant du PNUD en 2019. L’actuel président de la Ceni estimait à l’époque qu’ « avec plus de 40 millions d’électeurs recensés, une vérification complète dudit fichier aurait nécessité plusieurs mois de travail ».
Bien que pertinent, cet argument technique de l’OIF paraît davantage comme une parade pour étouffer une polémique naissante sur sa légitimité à auditer le fichier électoral. D’autant plus que lors de sa mission exploratoire, la délégation de l’OIF soutenait certes la nécessité d’avoir un temps nécessaire pour conduire l’audit mais certains experts électoraux estiment que cette opération peut tout de même être effectuée en un temps record, tout étant lié aux termes de référence, c’est-à-dire aux aspects du fichier que les parties prenantes au processus électoral souhaitent auditer.
S’il faut prendre un peu de la hauteur, les craintes évoquées ici par une partie de l’opinion publique ne nous semblent pas suffisamment convaincantes. Car l’OIF ne se confond pas avec l’un de ses États membres, encore moins avec sa dirigeante. Le panel des experts de la société civile est allé encore plus loin et estime que cette méfiance vis-à-vis de l’OIF vise à camoufler les ratés de l’opération d’identification et d’enrôlement des électeurs.
Dans tous les cas, quelle sera alors l’alternative à l’audit habituel de l’OIF ? L’AETA recommande à la Ceni de, je cite : « lancer un appel d’offres national pour recruter un cabinet d’audit externe du fichier électoral, exclusivement congolais, afin de sécuriser jalousement et lutter contre la fuite des données géostratégiques des électeurs». Dans un communiqué publié ce jeudi 4 mai, la mission d’observation électorale de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et de l’Église du Christ au Congo (ECC) insiste plutôt sur le « principe de l’audit externe du fichier électoral dans les délais convenables », quitte à opérer des « réaménagements » du calendrier électoral, comme lors des prolongations des opérations d’enrôlement des électeurs. « L’audit externe reste l’une des conditions sine qua non pour amplifier la confiance du public » à l’égard de la Ceni et du processus électoral, rappellent la CENCO et l’ECC.
Cependant, le temps risque de jouer en défaveur de la recherche de cette alternative. En dépit des réajustements des délais à opérer éventuellement, les données des électeurs sur lesquelles sera calquée la loi sur la répartition des sièges doivent être celles issues d’un fichier électoral audité. Car, autrement, l’audit externe tant réclamé pourrait être perçu comme une mascarade ne contribuant pas à fiabiliser et à crédibiliser le processus électoral en cours.
GEC