J-1 avant un passage par les urnes qui s’annonce souvent compliqué pour 44 millions d’électeurs.
Officiellement, la campagne électorale sera terminée ce 19 décembre en République démocratique du Congo, après un mois de surchauffe, de mobilisation populaire et de discours clivants, surtout entre les deux grands favoris de cette course à la présidence : le sortant Félix Tshisekedi et son seul véritable challenger Moïse Katumbi.
Dès l’annonce de la validation de la candidature de Moïse Katumbi par la Cour constitutionnelle, le 30 octobre dernier, il ne faisait aucun doute que cette campagne allait se résumer en un combat entre l’ex-gouverneur du Katanga et le président sortant. Les deux hommes se connaissent, se sont côtoyés – peut-être appréciés – quelque temps quand ils se sont retrouvés dans l’opposition à Joseph Kabila, avant de se déchirer au lendemain de la désignation de Martin Fayulu comme candidat commun de l’opposition, le 11 novembre 2018 à Genève.
Entre les deux anciens exilés bruxellois, la situation a rapidement tourné à l’aigre et le divorce fut définitivement consommé publiquement lors de festivités familiales kinoises organisées par le président de la République. À cette occasion, le chef de l’État avait voulu reléguer son ancien “grand ami Moïse” sur une table anonyme, festoyant avec ses nouveaux amis Bemba et Kamerhe entre autres. Le message était clair. L’humiliation publique. La séparation définitive.
Au fil des mois, la tension n’a cessé de monter et la campagne électorale fut un combat âpre et sans merci entre les deux hommes.
Un combat qui, jusqu’ici, a permis au challenger de se positionner au milieu du ring. C’est lui qui a dicté le tempo. Lui qui a frappé le plus fort. Qui a mobilisé des millions de Congolais tout au long d’une tournée digne d’une rock star. Katumbi, empêché de participer au scrutin de 2018, avait mis ses moyens et sa logistique au service de Martin Fayulu qui avait réussi à capter les foules et qui, sans l’accord inique entre Kabila et Tshisekedi, aurait dû être déclaré large vainqueur de ce scrutin.
Il n’en a rien été, mais Moïse Katumbi, cette fois candidat, a repris à son compte les recettes qu’il avait concoctées pour Martin Fayulu. Il a mis en place une véritable “machine de guerre” tout au long de la campagne. Même physiquement, l’homme est apparu affûté, “sec”, comme un cycliste au départ du Tour de France, avant de se lancer dans ce marathon qui l’a vu marcher plusieurs kilomètres chaque jour pour rallier ses podiums pour des meetings surchauffés. Le candidat numéro 3 a joué la proximité ; le contact physique, quitte à se mettre en danger, là où ses adversaires préféraient se faire déposer à l’arrière des podiums. La com’ a fonctionné. les images de ces marées humaines ont mis KO ses adversaires, contraignant même le candidat-président à revoir à plusieurs reprises son marketing de campagne.
La fracture
La campagne de Moïse Katumbi a marqué les esprits. Elle a fait naître plus que le doute dans les rangs du pouvoir. Elle a même déstabilisé une communauté internationale qui commençait à tabler, sans plaisir, comme une fatalité, sur une prolongation du mandat de Tshisekedi au terme d’un scrutin bâclé mais d’une contestation mineure rapidement mise sous l’éteignoir.
”On savait que ces élections étaient potentiellement porteuses de violence parce que mal préparées, parce que le clan au pouvoir veut coûte que coûte y demeurer. La détermination de Katumbi, sa popularité, notamment dans l’est du pays, nous font comprendre que l’éventuelle tricherie voulue par le pouvoir ne sera pas une sinécure”, reconnaît, sous le sceau de l’anonymat, un diplomate européen.
”Cela fait un certain temps que nos employés s’attendent à devoir rester chez eux quelques jours après le scrutin. Pour eux, les troubles sont inévitables”, explique un patron installé dans la capitale. Plusieurs témoignages expliquent que des Kasaïens (province de Tshisekedi) qui sont installés, parfois depuis de longues années, dans l’ex-Grand Katanga (province de Katumbi) ont préféré quitter leur domicile par crainte d’une explosion de violence.
”La radicalisation des discours fait peur”, explique un observateur attentif de la politique congolaise depuis des années. Pour lui, le risque est réel. “Ces dernières années, Katumbi a souvent été celui qui faisait retomber la pression. Cette fois, il n’y aura pas une personnalité capable de faire baisser la tension qui est déjà très forte entre Katangais et Kasaïens. Plus généralement ; l’est du pays swahilophone, qui est majoritaire se rangera du côté de Katumbi”. Le Katanga, c’est une évidence. Le Maniema, fief de Salomon Kalonda, bras droit de Katumbi, emprisonné dans les geôles de Tshisekedi, et de l’ancien Premier ministre de Kabila, Matata Ponyo, qui s’est rangé derrière l’ex-gouverneur du Katanga, semble aussi échapper à Tshisekedi qui devra, en outre, composer avec son bilan catastrophique dans le Sud-Kivu, le Nord-Kivu et l’Ituri. C’est donc tout l’est de la RDC qui est promis à Katumbi. L’homme d’affaires, patron du club de football du TP Mazembe devrait également faire le plein de voix dans l’ex-Province orientale délaissée par Tshisekedi. Katumbi peut aussi compter sur les voix d’un Kongo central, toujours frondeur vis-à-vis du pouvoir en place. L’ex-Bandundu, terrain de jeu de Fayulu, ne devrait pas garnir l’escarcelle de Tshisekedi qui doit, comme en 2018, se racrapoter sur les provinces du Kasaï et une base non négligeable à Kinshasa.
À condition, évidemment, que le pouvoir organisateur de ce scrutin tienne compte de la voix des électeurs…
(Avec LibreAfrique)