La campagne électorale congolaise bat son plein. Les visages de candidats souriants, placardés sur d’immenses panneaux d’affichage, surplombent les principales artères urbaines ; des camions à plate-forme remplis de haut-parleurs parcourent les banlieues tentaculaires de Kinshasa, diffusant de la musique et exhortant les gens à voter pour leur candidat ; et l’argent dépensé pour les préparatifs électorales et les campagnes, notamment pour les  t-shirts, affiches, bières et « frais de mobilisation »,a contribué à ce que le taux d’inflation a plus que doublé depuis le début de l’année.

Mais l’agitation de la campagne est trompeuse. Elle suggère un degré de liberté et d’exubérance qui est démenti par d’autres contraintes moins visibles. Certes, les candidats d’une panoplie de partis parcourent le pays et s’invectivent dans les médias et sur les réseaux sociaux. Mais le processus électoral lui-même est faussé par des interférences politiques qui remontent à plusieurs années.

Qui a la cote, qui ne l’a pas

Avant d’en arriver là, il est utile de dresser un tableau de la situation. Elle est très fragmentée : il y a au total 26 candidats à l’élection présidentielle, 25 832 candidats aux élections législatives,  44 110 candidats aux provinciales et 31 234 candidats aux communales, représentant 70 partis et regroupements politiques. Les principaux candidats à la présidence sont le président Félix Tshisekedi ; Martin Fayulu, un ancien dirigeant d’entreprise que la plupart des observateurs indépendants considèrent comme le véritable vainqueur des élections de 2018 ; Denis Mukwege, un gynécologue et lauréat du prix Nobel de la paix pour son travail avec les victimes des violences sexuelles ; et Moise Katumbi, un riche homme d’affaires, ancien gouverneur de la province du Katanga, et propriétaire du club de football TP Mazembe. 

À ce stade, il est difficile de dire qui est en tête des intentions de vote. D’autant plus que presque tous ces candidats drainent de foule à leur passage dans différentes régions du pays où ils mènent campagne. Reste à voir comment la dynamique des campagnes déterminera les nouveaux rapports de force.  En 2018, Fayulu est monté en flèche dans les sondages d’opinion un mois avant les élections, après que les leaders de l’opposition ont porté leur choix sur lui comme leur candidat commun et l’ont soutenu (Félix Tshisekedi est ensuite revenu sur cet accord et s’est tout de même présenté). Un effort similaire, cette fois-ci à Pretoria, en Afrique du Sud, n’a pas réussi à faire émerger une candidature commune de l’opposition.

Un autre facteur potentiellement décisif est le taux de participation. Notre sondage de janvier indiquait que plus de la moitié des électeurs pourraient ne pas se présenter aux urnes. Il existe d’importantes variations régionales dans le taux de participation, tout comme dans les préférences des électeurs. Cela soulève une autre préoccupation : bien plus que lors des trois élections qui ont eu lieu depuis la fin des grandes guerres du Congo (1996-2003), l’ethnicité semble s’immiscer dans la politique nationale. Dans notre sondage, 54% des électeurs potentiels de Tshisekedi vivaient dans les cinq provinces du Grand Kasaï, d’où Tshisekedi et sa communauté luba sont originaires, alors que seulement 16% de la population congolaise y vit. 

Être candidat à la présidence en RDC exige beaucoup de ressources – notamment un avion privé, car les vols commerciaux sont rares et souvent peu fiables. Les quatre principaux candidats ont tous un avion à leur disposition. Mobiliser les électeurs est également coûteux – en général, c’est connu que pour mobiliser les foules, les candidats parlementaires et présidentielles doivent dépenser des dizaines de milliers de dollars. La proposition de réforme de la loi électorale portée par le Groupe de 13 personnalités politiques et de la société civile (G13) qui interdisait une telle pratique n’avait pas finalement été adoptée l’année passée. 

Il est difficile d’évaluer le degré de popularité en se basant sur le nombre de personnes dans les rues et les stades, en partie parce que certaines ne sont là que contre rémunération, mais aussi parce que la taille des foules en RDC est difficile à estimer. Tous les participants à un rassemblement ne sont pas acquis à la cause de celui qui mobilise. Dans certains meetings, les participants scandent soit le nom du candidat concurrent, soit ils rappellent des promesses non tenues en réfutant le discours sur l’avenir du candidat. Mais il est clair que les quatre principaux candidats à la présidence ont tous été en mesure de rassembler des foules importantes. 

Un processus biaisé

Peu importe qui pourrait gagner ces élections, le contexte de leur organisation pose les bases d’une future contestation. L’un des aspects les plus troublants des processus électoraux en RDC est leur politisation, un constant depuis au moins 2011. Les deux derniers présidents de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) étaient considérés comme proches du précédent président, Joseph Kabila. Ce qui a sapé la confiance à leur égard. La même allégation a été formulée à l’encontre de Denis Kadima, l’actuel président de la Ceni. Il était censé être désigné par les principales confessions religieuses. Cependant, les deux plus grandes organisations de ce type – l’ECC et la CENCO, qui représentent les protestants et catholiques – se sont opposées à sa nomination, qui a tout de même été entérinée par l’Assemblée nationale. Kadima a été ensuite investi par Tshisekedi en octobre 2021. Par manque de confiance dans la Ceni, les principaux partis d’opposition ont ensuite refusé d’envoyer leurs délégués pour siéger à son bureau et sa plénière. Cela signifie que la commission électorale est dominée par des personnes et des partis proches de l’actuelle coalition au pouvoir.

Cela a eu un impact sur la légitimité des élections. Un sondage réalisé par GEC/Ebuteli et Berci en août 2022 a révélé que seulement 28% des Congolais avaient une opinion favorable de Kadima. 

Une tendance similaire peut être observée à la Cour constitutionnelle, où les litiges relatifs à l’élection présidentielle seront tranchés.  Et la manière dont les juges ont été révoqués et les nouveaux nommés a montré des signes de pression politique. En juillet 2020, trois des neuf juges ont été démis de leurs fonctions, prétendument sous la contrainte, ce qui a permis la nomination de nouveaux juges. Deux autres juges ont quitté la Cour en 2022, également dans des circonstances suspectes. Cela a permis aux trois organes chargés par la Constitution de proposer des juges – le Conseil supérieur de la magistrature, la présidence et le Parlement – de nommer de nouveaux membres. Comme ces trois organes sont tous plus ou moins sous l’emprise de la coalition au pouvoir – formellement pour la présidence et le Parlement, officieusement pour l’organisation des magistrats – beaucoup pensent que la plus haute Cour du pays serait favorable au président sortant. 

Le deuxième aspect inquiétant est la transparence du processus. La société civile n’a cessé de critiquer la Ceni pour son manque d’ouverture et d’accessibilité. L’année dernière, l’ECC a déclaré que « la Ceni gère le processus électoral comme une affaire privée, contrairement aux principes universels de transparence électorale ». Il y a quelques mois, l’église catholique a dénoncé le refus de la Ceni d’engager des pourparlers avec les partis politiques pour résoudre les problèmes liés au processus électoral. 

Ces allégations sont allées crescendo à propos de l’audit du fichier électoral, résultat d’un processus d’inscription qui s’est déroulé entre 2022 et 2023. L’opposition a exigé un audit externe du registre des 43 millions d’électeurs, comme cela avait été fait pour les trois cycles électoraux précédents. L’Organisation internationale de la francophonie (OIF), invitée par la Ceni pour cet l’audit, s’est désistée, estimant que les six jours qui lui étaient impartis n’étaient pas suffisants. Finalement, la Ceni a recruté d’autres experts qui ont réalisé l’audit, sans pouvoir mettre fin aux allégations de partialité. 

Enfin, la liberté de mouvement et de réunion des candidats de l’opposition et de leurs partisans a soulevé de graves questions. En mai 2023, la police a empêché Moïse Katumbi de se rendre dans la province du Kongo Central. Deux jours plus tard, les autorités ont empêché les candidats de l’opposition d’organiser une manifestation devant le siège de la Ceni à Kinshasa. Le Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme a rapporté en août que « l’environnement préélectoral au [Congo] est de plus en plus caractérisé par un rétrécissement de l’espace civique et des violences politiques et électorales, des arrestations et détentions arbitraires, des enlèvements et des menaces visant les opposants politiques, un usage excessif de la force contre des manifestants pacifiques, et des discours de haine et d’incitation à la violence ». 

Le 30 mai, le conseiller principal de Katumbi, Salomon Kalonda, a été arrêté à Kinshasa et accusé par la suite de possession illégale d’une arme à feu et de complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’État. Le porte-parole du parti de Katumbi, Cherubin Okende, a été retrouvé mort par balles à Kinshasa, quelques heures après avoir été invité par la Cour constitutionnelle.. Il a été retrouvé mort par balle peu après. 

Malgré ces contraintes, la société civile se mobilise. Comme en 2018, les églises sont en première ligne. La principale mission d’observation électorale sera dirigée par la CENCO et l’ECC et financée par les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni et l’Union européenne. Cette mission compte envoyer plus de 40 000 observateurs, ce qui devrait lui permettre, comme il y a cinq ans, d’évaluer si les résultats officiels correspondent à la réalité. 

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Compte tenu de ces lacunes et des risques de fraude, les élections en valent-elles la peine ? Elles coûteront environ 1,1 milliard de dollars dans un pays désespérément pauvre. 

La démocratie au Congo a tendance à échapper à ceux qui tentent de la contrôler. En 2018, Kabila n’a pas été en mesure de faire passer son candidat préféré, se contentant finalement d’un accord avec le prétendu second. Une issue récemment confirmée par Corneille Nangaa, président de la Ceni au moment des faits. À chaque cycle électoral, un grand nombre de parlementaires sortants perdent également leur course, malgré les sommes importantes qu’ils y consacrent. Toutefois, les vainqueurs ont également tendance à être aspirés par un système prédateur qui n’a guère amélioré la vie des Congolais. 

Près de cinq ans après le début de sa présidence, Tshisekedi a pu plus que doubler le budget national, mettre en place (bien que de manière chaotique) la gratuité de l’enseignement primaire et s’attaquer aux réseaux clientélistes mis en place par son prédécesseur. Cependant, il a créé ses propres réseaux similaires, n’a pas réussi à empêcher l’escalade du conflit dans l’est du Congo et, selon ses détracteurs, n’a pas fait assez pour améliorer le niveau de vie des citoyens moyens. 

Le 20 décembre, les Congolais pourront évaluer si cet héritage vaut au président sortant un nouveau mandat de cinq ans.

Ebuteli

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