Ratissage policier, kidnapping, spoliation, expropriation sont devenus monnaie courante. La psychose s’installe dans la capitale congolaise.
Le 5 juillet, Martin Fayulu publiait sur son compte Twitter ce constat doublé d’un appel à l’action des autorités. « Les enlèvements à Kinshasa accouplés aux phénomènes kuluna et mobondo troublent la quiétude des kinois. Il est impératif de mettre des moyens conséquents pour enrayer ces phénomènes de plus en plus aigus au risque que Kinshasa devienne une jungle ».
Depuis des semaines, les kidnappings occupent toutes les conversations à Kinshasa. « Des centaines de personnes ont été enlevées, certaines ne sont jamais réapparues », explique un Kinois qui avoue avoir changé ses habitudes en rentrant plus tôt chez lui et en limitant les sorties le soir.
« Beaucoup de monde a changé ses habitudes, du coup ça crée encore plus d’embouteillages car tout le monde est pressé d’aller se mettre à l’abri à la maison », constate un fonctionnaire international.
Des arrestations ont eu lieu, une vingtaines de personnes jugées en flagrance. La plupart des prévenus, poursuivis pour association de malfaiteurs, enlèvements, vols avec violence, ont été condamnés à la peine de mort.
Les mains noires ont bon dos
Pas de quoi rassurer les Kinois toutefois. « Les kidnappings se poursuivent », explique une maman de Kitambo. « On a vu des gens qui étaient jugés mais qui n’ont pas pu s’expliquer sur les vrais commanditaires».
« C’est le sentiment qui prédomine ici, explique un avocat congolais. On a arrêté une petite bande mais au vu de l’importance du phénomène, il y a bien d’autres responsables qui semblent agir en toute impunité. Ce procès ne va pas calmer les craintes et le pouvoir, une fois de plus, est dans le déni et rejette la responsabilité sur les fameuses mains noires coupables de tout ce qui le dérange. »
L’homme vise notamment l’un des derniers points de presse du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement Patrick Muyaya pour qui « il y a beaucoup de laboratoires qui opèrent et qui ne veulent pas que les jeux de Kinshasa puissent être un succès » avant de poursuivre en démentant les trafics d’organes : «C’est une rumeur qui vise à lancer un message négatif de manipulation par rapport aux Jeux de la francophonie ».
« Les rapts n’ont pas commencé avec les jeux de la Francophonie, il faut cesser de chercher les fameuses mains noires bien pratiques pour justifier tout ce qui ne va pas dans le pays. La réalité est dans la mauvaise gestion, voire la non gestion de la capitale et du pays», poursuit un habitant de Limete.
Expropriation violente
Ce samedi 7 juillet en pleine nuit, certains quartiers de la capitale ont été bouclés par les forces de l’ordre comme à Kitambo. Certaines adresses visitées. Un déploiement de force qui participe à ce sentiment d’insécurité. «Une de mes clientes m’a téléphoné, explique un avocat. Sa maison était cernée par des forces de l’ordre qui visitaient chaque maison d’un côté de la rue. L’ancien ministre Maker, en charge de l’éducation primaire, secondaire et professionnelle sous Kabila, a notamment été visité. Ma cliente était paniquée, elle craignait qu’ils viennent tout casser chez elle. Finalement, ils se sont arrêtés avant».
« Ces mouvements de troupes sèment l’inquiétude, surtout quand on voit comment ces hommes en uniformes rackettent la population», explique un témoin qui évoque les excès en tous genres des autorités de la province de Kinshasa.
Et d’évoquer notamment l’expulsion violente des locataires d’un site de la société congolaise de poste et télécommunication (SCPT) dans le quartier du Golf, sur l’avenue Colonel Ebeya. «Des petites gens qui devaient certainement bloquer un projet plus rentable pour certains », poursuit notre témoin.
Une affaire que les locataires du site n’entendent pas laisser passer, eux qui disposent d’un bail en bonne et due forme signé avec la Poste et qui ont investi plusieurs milliers de dollars pour installer un restaurant, une petite terrasse sur le site.
Leur avocat, Me Bengi Tambu a adressé un courrier au président de la République, à divers ministres, au patron de la Poste, au bourgmestre de la Gombe et au gouverneur de Kinshasa pour dénoncer « l’exécution d’une fausse décision judiciaire » qui a abouti à la « démolition méchante » des biens construits sur ce terrain.
La trentaine de locataires, souvent depuis de longues années, a chiffré le montant des investissements à 61.120 dollars et réclame « le paiement par l’hôtel de ville de la somme de 50.000 dollars à titre de frais des matériaux et biens perdus lors des actes de destruction ou démolition du site », selon le courrier de l’avocat.
Dans sa missive l’avocat évoque les « actes de destruction méchante posés par le vice-gouverneur de la ville de Kinshasa Monsieur Gecoco Mulumba en date du 22 juin 2023 en exécution d’une prétendue décision judciaire gagnée par les anciens agents de la SCPT… ». Un peu plus loin, le défenseur poursuit en évoquant la « connivence avec un colonel de la police au nom de Roger Tambwe du commissariat de la commune de Gombe ».
« D’anciens membres de la Poste se prévalent d’un jugement par défaut qui condamnerait leur ancien employeur. Ils se présentent sur le terrain sans nous avertir, avec le vice-gouverneur, des forces de l’ordre et du matériel pour tout détruire et, en quelques minutes, ils saccagent le travail de plusieurs années. C’est injuste et insupportable », explique Judith Sungia, une des locataires de l’endroit qui venait de voir son bail prolongé officiellement par le directeur de la Poste trois jours avant le passage en force du vice-gouverneur.
« Tout ce qui n’avait pas été détruit par un étrange incendie quelques jours plus tôt a été écrasé », explique une autre locataire qui n’entend pas s’avouer vaincue. «Personne, surtout pas un vice-gouverneur, ne peut exécuter une décision judiciaire sans avoir notifié qui que ce soit » , poursuit un autre proche du dossier.
« S’il y a bien eu un jugement contre la Poste, les personnes lésées doivent se retourner contre la Poste. Depuis quand une personne qui aurait obtenu un jugement peut décider d’investir un terrain flanqué de militaires et du vice-gouverneur. Tout est illégal dans cette procédure », poursuit un avocat.
Maître Bengi Tambu, de son côté, en appelle au Président de la République pour qu’il « puisse se saisir de ce cas des individus qui marchent sur les lois de la République et bafouent tous vos efforts pour instaurer un état de droit ».
Nul doute que Félix Tshisekedi ne restera pas insensible à ce message, lui qui vient d’épingler les errances de la justice congolaise. Repris par le site Actualité.cd, le président explique “ Je pense que s’il y a un bémol sur mon bilan, je crois que c’est celui-là. Je ne suis vraiment pas satisfait du bilan jusqu’ici. J’ai beaucoup compté sur ce pouvoir parce que je me dis comme dans la Bible, c’est la justice qui élève une nation. (…) Malheureusement, dans notre cas, la justice détruit notre nation. J’ai tout mis en œuvre pour essayer de faire comprendre, surtout au chef des corps mon intention, ma vision et en fait ma vision, c’est de dire voilà, c’est vous qui connaissez votre métier, exercez le consciencieusement (…).Malheureusement, je n’ai pas l’impression que nous sommes toujours sur le même diapason”.
Un constat que dressent aussi ces petits commerçants kinois qui ont tout perdu en quelques coups illégaux de pelles mécaniques.
Toutes ces affaires, quelle que soit leur dimensions, pourrissent le quotidien des habitants d’une Kin-la-belle qui perdu depuis bien longtemps cette étiquette radieuse pour s’enfoncer dans un quotidien cauchemardesque.
Libre Afrique